EDL (électricité du Liban): histoire de reflets d’un édifice et de ses symboles (lumière, courant, ondes…)
En amoureuse et observatrice d’architecture, en avril 2015 mon oeil s’est attardé sur l’immeuble dans le quartier de Mar Mikhael. Le contexte et l’aspect m’ont instantanément sauté aux yeux et à l’esprit.
C’était la même émotion que celle ressentie lors d’un tirage dans la chambre noire, sous la lumière inactinique : la révélation! D’une évidence déconcertante. Je n’ai cessé de garder cet édifice en tête parce qu’il raconte la situation d’un pays à lui seul. Les repérages faits, je me dirige en toute discrétion vers l’immeuble d’en face pour planifier l’approche photographique. À l’époque, l’immeuble était quasi désert, abandonné. Le choix du matériel s’est très vite imposé à moi ; léger, facile à dissimuler, travail rapide à mains levées. Cette fois-ci, j’ai opté pour un parti pris. Les photos sont raitées à la manière du bâtiment et à sa symbolique.
À ma grande surprise, une deuxième révélation m’est apparue : son état intérieur était identique à
son voisin ; couleurs similaires, délabrement de ces bâtiments face à face, correspondances visuelles, corrélations d’âmes, d’atmosphères, régnaient clairement. L’appartement laissé à l’abandon fait face à l’électricité laissée à l’abandon, au peuple abandonné.
L’EDL se reflète sur les immeubles avoisinants tel un miroir. Plus particulièrement celui d’en face, d’où les photos ont été prises. Sur moi instantanément, ainsi que mon approche. À croire que l’EDL, avec toute sa symbolique, devient contagieux! Tout ce que ce bâtiment représente reste un grand problème pour l’évolution du pays, pour tout un peuple. Depuis le début de la guerre civile en 1975, jusqu’à nos jours, le problème est toujours là, omniprésent : nous vivons au rythme des coupures de courant. Sa façade est à l’image du pays : délaissée, truffée de vermines, sans avenir. La même désuétude statique, décomposée, passée, insalubre aux couleurs identiques, quasi monochromes, depuis sa construction dans les années 1970. Aucune évolution possible. Tout comme sa problématique au quotidien, il est rempli de toutes petites fenêtres délabrées, désordonnées, comme une ruche où fourmillent les fonctionnaires de l’État, avec une inertie à l’image de leurs dirigeants et politiciens, qui se battent par abus de pouvoir : obscurantisme de l’État, délaissant son peuple dans la misère, dans l’incertitude, l’inquiétude de l’avenir.
Cet immeuble est ainsi pris au piège par sa propre symbolique. Toutes ces correspondances relèvent-elles de la sombre poésie environnementale ? J’aurais aimé y croire. À chacun de voir et de vivre son interprétation de l’histoire, les portes sont ouvertes, les esprits aussi.
Nous attendons toujours cette lueur de lumière, pour l’instant nous sommes une nation éteinte.
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